Elle s'appelait Sultana

Publié le par Juloz

Le prénom de Sultana a longtemps été donné en Afrique du Nord, et signifie “Princesse“. Il s'agit de celui de mon arrière grand-mère maternelle. Son nom était GUEZ (de l'hébreu gazaz qui signifie couper).
Pour repérer les membres de cette famille dans mon arbre généalogique, et comme il n'y aura jamais de photos disponibles, j'ai créé un blason que voici :

La scie est une arme parlante puisqu'il s'agit de se référer au fait de "couper"; la ménorah est là pour symboliser la religion juive; et le lion d'or en référence au blason de la ville de Bône, faisant lui-même référence au "Rocher du Lion"

 

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Situé au pied du Ras-El-Hammam (Le Cap des Pigeons), le Rocher du Lion mesurait environ 17 mètres de haut, l’équivalent d’un immeuble de 5 étages. Il était surnommé ainsi tout simplement parce que sa forme rappelle la posture d’un lion assis.
En 1917, en pleine guerre mondiale, le Rocher du Lion, qui a traversé les siècles, est finalement détruit à la dynamite sous l’ordre d’un officier de la marine française : il gênait apparemment le balayage sur la mer des projecteurs à la recherche d’un éventuel sous-marin.

Bref...
Revenons à notre Sultana.
Grâce au fabuleux site de l'ANOM, j'ai trouvé son acte de naissance. Elle est née le 26 octobre 1874.

Acte de naissance de Sultana GUEZ le 26 octobre 1874.

Acte de naissance de Sultana GUEZ le 26 octobre 1874.

Elle est le quatrième enfant d'Eliaou GUEZ (né vers 1840, décédé en 1893 à seulement 43 ans), et Mariem VIDAL (née vers 1847, décédée après 1909), entre Abraham (1864 - ?), Ouraïda (1867 - ?), Messaouda (1871 - ?), et entre Ghezala (1878 - 1963) et Moïse (1881 - ?). Je n'ai pas encore, pour certains, leur date de décès, les archives ne sont pas disponibles car trop récentes. De plus, personne dans la famille ne sait quand et où exactement il a eu lieu.

Eliaou GUEZ, un colporteur et portefaix, et Mariem VIDAL, concierge de son état, se sont vraisemblablement mariés à Bône mais il n'existe (et n'existera) aucun document pour le justifier.

Sultana ne savait ni lire ni écrire car, après seulement être restée quelques semaines à l'école, elle sera très vite retirée du CP et mise à travailler dans l'usine de fabrication de cigarettes à Bône, peut-être la manufacture de tabacs L & H ALBAN.

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Cigarettière, elle le sera pratiquement toute sa vie tout en élevant ses enfants. Ma tante, petite à l'époque mais qui l'a un tout petit peu connue avant son décès, se souvient qu'elle pouvait confectionner une cigarette "en moins de 2" ! Elle lui répétait souvent aussi : "Ma fille, ne mets jamais les pieds en Espagne !", faisant référence à l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique en 1492.

Sultana a été une des rares femmes à avoir joué de la darbouka dans les orchestres arabes.

Femme à la darbouka (non daté)

Le 22 août 1900, à 26 ans, elle se mariera avec Eliaou NAOURI (1870-1930), cordonnier de son état mais exerçant plusieurs autres petits métiers comme vendeur de pois chiches au cumin que préparait Sultana (!).
Il est le 7ème enfant d'une fratrie de 9, fils d'Abraham NAOURI, revendeur de blé (né à Bône en 1829, décédé en novembre 1893), et Rachel ATTAL, concierge (née en 1837 à Bône, décédée après 1901).
5 ans auparavant, en 1895, Eliaou, alors âgé de 26 ans, aura une liaison avec Zahra ATTALI, âgée elle de 33 ans. Ils
 auront même un fils, René NAOURI (né en mai 1896) qu'il reconnaîtra, mais qui décédera 2 mois plus tard...
Le couple NAOURI-GUEZ aura en tout 9 enfants.
Mais le malheur s'abat sur la pauvre Sultana car en l'espace de 4 ans, elle va perdre 4 enfants :
Rosetta (14 mois) en 1909, Albert (8 ans) en 1910, Rose (2 ans) en 1912 et Michel (13 mois) en 1913.

Dans la tradition juive, il est dit que lorsqu'une femme perdait beaucoup d'enfants, le destin fait qu'elle n'en aurait plus jamais après.
C'était sans connaître Sultana qui, voulant un deuxième garçon, tomba alors enceinte quelques temps après. Un rabbin lui dit qu'il ne fallait pas "considérer" qu'il était le sien et demanda à un autre couple "d'adopter" l'enfant pour tromper le mal et les mauvais esprits.
Arriva enfin la naissance de ce bébé qui fut donc"adopté" symboliquement par un grand rabbin de Bône (un vénérable vieillard qui n'avait pas eu d'enfants), et à qui on donna un autre prénom que le sien : "Sassi" (qui peut se traduire par "vie protégée"). L'enfant resta en fait vivre avec ses soeurs et son frère et fut élevé par ses "vrais" parents.
Cet enfant, c'était mon grand-père.
Ainsi,
Sassi fut son prénom pendant plusieurs années, beaucoup ne connaissant finalement jamais son vrai prénom, Michel.

A quoi ressemblait Sultana ? Je me suis souvent posé la question...

Après avoir contacté plusieurs cousins issus de germains, étonnés et un peu surpris par mes recherches quelque fois, et après plusieurs semaines de mails et de coups de téléphone, j'ai finalement pu mettre la main sur une vieille photo salie, pliée et déchirée. Oh, joie ! Je pouvais enfin mettre un visage sur ce nom qui m'accompagnait tout au long de mes recherches généalogiques en Algérie.
Grâce au logiciel gratuit paint.net, j'ai pu la restaurer.

Photo non datée mais estimée vers les années 30 ou 40...

Voici le résultat après restauration :

Regardez cette femme. On sent la fatigue, des traits tirés...La vie l'a malmenée mais elle s'en est sortie.
Voici quelques mots de ma tante à son sujet :
"
J'adorais ma grand'mère...Elle était la bonté même, la douceur et la gaieté aussi, pleine d'humour, aimant chanter et danser ( c'est elle qui m'a appris à danser la valse et la mazurka) , jouer de la derbouka ( elle en jouait dans les orchestres arabes ) et conter ( les contes de Rabbi Nahman de Bretslaw et l'exode des Juifs d'Espagne)...jusqu'à ce que l'hémiplégie la terrasse.
J'avais 7 ans et jusqu'à 10 ans , j'ai aidé ma tante Suzanne à la soigner...Je lui donnais à manger, l'habillais, la parfumais,  et elle, patiente, souriante, elle ne me parlait plus que du regard ...Assise à ses pieds, par terre, je lui lisais des histoires pour la distraire...
Alors que j'étais en vacances en France avec mon oncle, elle s'est éteinte et on me l'a caché jusqu'à mon retour...
Mais une nuit , pendant ce séjour à Andernos, j'ai rêvé qu'elle me donnait un collier et une étoile de David en me disant : " Elle te protègera..."...J'appris plus tard qu'elle s'était éteinte en silence, cette nuit-là...
".

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S
Je suis tombé sur votre histoire par hasard . Ma fille se prénomme Sultana prénom ancien et rare. Je trouve ce prénom fort et doux à la fois . Ce qui représente bien votre meme tana!
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J
Merci Sasa ! Ca me touche.
M
Merci pour cet émouvant récit de la vie de cette princesse que fût ma grand mère. Bravo pour tes recherches très fructueuses. Fière de toi je suis....
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D
Merci pour ce brillant article sur notre arriére grand-mére
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J
Merci Didier ;-)
G
Merci pour cet article touchant ! Votre arrière grand-mère fait écho à la mienne née à Constantinople où elle mourut vers 1914. Elle se prénommait Kadun et parlait le judéo-espagnol...<br /> http://lulusorciere-archive.blogspot.fr/2013/04/k-comme-louise-challengeaz.html
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G
Beau travail !!!
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J
Merci GG ;-)