G comme...Gueules Cassées - Challenge AZ 2015
Mon arrière grand-père s'appelle Emile Etienne Léon LOZELLI. Il est né le 13 avril 1891 à Tours, fils d'Urbain LOZELLI (1856 - 1933), coiffeur, et de Léonie COUSTY (1860 - 1943), sans profession.
Après avoir quitté l'école Primaire Supérieure, il a été employé comme ouvrier coiffeur chez son père, dans le salon que ce dernier a ouvert en 1883 au 40 Rue de Sébastopol à Tours et dans d'autres maisons, jusqu'à son engagement au 66ème Régiment d'Infanterie le 02 août 1912.
Il a alors 21 ans.
Engagé volontaire pour 3 ans au 2ème Bataillon et à la 7ème Compagnie du 66ème Régiment d'Infanterie, d'abord soldat de 2ème Classe, il passe 1ère Classe le 05 juillet 1913, Caporal le 09 octobre 1913 puis il obtient le grade de Sergent le 16 septembre 1914, soit un mois après la déclaration de guerre contre l'Allemagne.
Il obtient une citation : "Brave sous-officier. A toujours fait preuve de sang-froid et d'énergie."
Il est grièvement blessé au visage par une rafale de mitrailleuse allemande le 11 novembre 1914 à Poelkapelle (Belgique) à la bataille de l'Yser et échappe de peu à une mort certaine !

Le 20 décembre 1915, il obtient aussi un nouvelle distinction militaire :
Citation à l'ordre de la division par le Général Lefèvre, Commandant de la 18ème Division, ordre général n°1731 : " Très brave, a été blessé grièvement le 10 novembre 1914, devant Langemark en portant la section à l'assaut d'une tranchée allemande. " (il a bien été blessé le 11 et non le 10 - ndlr)
Il est devenu ainsi une " Gueule Cassée ", terme désignant tous les soldats blessés au visage, pour la plupart soignés à l’hôpital du Val de Grâce à Paris, appelé le " Service des baveux ".
Émile a plutôt eu de la chance, comparé à certains camarades atrocement défigurés :
ATTENTION ! Certaines images peuvent choquer.
Pourquoi ce nom, " Gueules Cassées " ?
Extrait du livre : Le Colonel Picot et les « Gueules Cassées » -écrit par Noëlle Roubaud et l’abbé Raymond-Noël Bréhamet, Aumônier national des « Gueules Cassées ».
"…C'est ici que se place un fait, qui va conférer un nom immortel aux héros "baveux".
Une fête patriotique était donnée à la Sorbonne. Le colonel Picot, la tête encore emmaillotée, désirait s'y rendre.
Du Val-de-Grâce au boulevard Saint-Michel, il n'y avait qu'un pas et Picot, tout joyeux de cette cérémonie, se présenta au guichet. Là, un garde l'arrêta :
- Avez-vous, monsieur, une invitation ?
- Non, mais je suis mutilé de guerre, colonel en service, et actuellement au Val-de-Grâce.
- Impossible, monsieur, de vous laisser passer si vous n'avez pas une convocation.
- Mais, enfin… tout de même !
- Je vous demande pardon, monsieur.
A ce moment, Picot fut légèrement bousculé par un homme qui, sortant rapidement une vague carte de sa poche, dit entre ses dents : « Député ! » et passa, salué respectueusement par le garde.
Picot n'insiste pas, serre les poings, va sur la place de la Sorbonne, en fait le tour deux ou trois fois et s'aperçoit brusquement du départ du garde. Aussitôt, il bondit, passe le tourniquet, sort une vague carte de sa poche, comme le député, et comme lui grommelle : " gueule cassée ". On s'efface, et Picot entre fièrement dans la place. C'est ce nom qui désignera désormais les blessés de la face…"
La chirurgie réparatrice mais surtout la chirurgie maxillo-faciale se développe alors considérablement. La chirurgie réparatrice consiste à limiter les traces, en particulier les blessures profondes. Elle s’est ensuite concentrée sur des cas plus complexes comme refermer des plaies de grande dimension ou encore reconstruire des os écrasés.
Certains soldats se retrouvaient sans bouche, joues ou encore sans yeux. Sur 8 millions de mobilisés, on estime entre 10 000 à 14 000 blessés de la face soit à peu près 15 % des blessures.
Le site web de l'Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT) explique parfaitement la vie des ces jeunes hommes :
" Ces broyés de la guerre gardent la vie, mais c'est pour vivre un nouveau cauchemar. Les regards, y compris parfois, ceux de leur famille, se détournent sur le passage de ces hommes jeunes, atrocement défigurés. Ils ont honte de se montrer, ils ne savent où aller. Ils sont sans travail et rien n'a été prévu pour eux. Ni foyer entre deux opérations, la reconstruction du visage pouvant nécessiter plusieurs années, ni pension, car à cette époque la blessure au visage n'est pas considérée comme une infirmité et n'entraîne donc aucun droit à pension d'invalidité. C'est dans cet abîme de détresse que quelques-uns d'entre eux, refusant le désespoir et la pitié, s'élevèrent au-dessus de leur condition de mutilé pour proclamer leur humanité. "
Le 21 juin 1921, à l'initiative de deux " grands mutilés ", Bienaimé Jourdain et Albert Jugon, une quarantaine de soldats blessés au visage créent l'Union des Blessés de la Face, qu'ils surnomment donc les Gueules Cassées : Ils en confient la présidence au Colonel Picot.
Leur devise " Sourire quand même ",
Leur arme, la Solidarité.
Le saviez-vous ?
Cette association est à l'origine de la Loterie Nationale, plus connue maintenant sous le nom de Française des Jeux dont elle détient actuellement 9,23 % du capital, et est ainsi l’actionnaire privé le plus important.
En 1927, une première souscription assortie d’une tombola est lancée
Entre 1931 et 1933, les Gueules Cassées, associées avec " Les Ailes Brisées " et les autres associations de victimes de guerre, lancent une souscription nationale assortie d’une tombola qui sera appelée " La Dette ".
En 1933, devant le succès remporté par " La Dette ", l’Etat crée la Loterie Nationale au profit des anciens combattants et des calamités agricoles, dans la cadre de l’article 136 de la loi de finances votée le 31 mai 1933.
Le 10 juillet 1975, Jacques CHIRAC, alors Premier ministre, signe le décret de création du Loto. Il s’agit, sur le plan juridique, d’un " tirage complémentaire de la Loterie Nationale ".
Les Gueules Cassées acquièrent en 1927 le Château de Moussy le Vieux en Seine et Marne, ainsi qu'en 1934 le Domaine du Coudon dans le Var, où mon arrière grand-père, entretemps devenu depuis 1936 Président des Gueules Cassées en Touraine, profitera souvent de séjours de repos avec mon arrière grand-mère ou des amis jusqu'à la fin des années 60, comme le témoignent ces cartes postales :
Émile côtoiera également les grands noms des Gueules Cassées comme Bienaimé JOURDAIN ou Julien SZUMLANSKI :
Mon arrière grand-père est décédé le 09 Mars 1975.
Un dernier hommage lui sera rendu dans la Nouvelle République, ainsi que sur sa dernière demeure par ses camarades :
Sur ce sujet, je vous conseille le livre de Martin Monestier "Les gueules cassées, les médecins de l'impossible 1914-1918"
ainsi que l'excellent film "La Chambre des Officiers", sorti en 2001.
A demain pour la lettre "H" ! ;-)